lundi 5 novembre 2007

Droit Moral v. Moral Rights

Selon B. Edeman, "La fonction même du droit moral - expression juridique abstraite du rapport de l'auteur à son oeuvre - est d'empêcher que l'oeuvre ne devienne un "bien" comme un autre. Si l'on supprimait le droit moral ou, dans une version plus douce, si l'on en acceptait la cession, rien ne distinguait plus, en son fond, l'oeuvre d'un autre bien de consommation." (JurisClasseur Propriété littéraire et artistique, fascicule 1112). Or s'il est bien un point de droit sur lequel droit d'auteur et copyright s'oppose, c'est précisément sur la question du "droit moral".

L'expression 'moral rights', bien que directement inspirée de notre expression "droits moraux", ne renvoie aucunement à une même et identique conception, comme le confesse David Vaver dans son article 'Moral Rights Yesterday, Today and Tomorrow' (International Journal of Law and IT, 1999).

D'abord parce qu'au Royaume Uni, le droit moral n'est pas considéré comme le seul moyen de défendre les droits de l'auteur. Le copyright anglais laisse une large place au concept de common law que sont notamment, le 'passing off' (et le 'reverse passing off'), la 'defamation', et surtout l'aménagement contractuel (comme le 'publishing contrat' en matière d'édition).

Ensuite parce que selon la conception anglaise, c'est donner trop de pouvoir à l'auteur. C'est méconnaître l'actuelle processus de création (le créateur n'est pas un "créateur solitaire"), largement fondé aujourd'hui sur la collaboration et l'inter-textualité. Or, si l'auteur a créée une oeuvre, c'est en s'appuyant sur ce qui s'est fait avant lui, et parce que l'industrie lui donne les moyens de réaliser son oeuvre. Dans ce cas, le droit moral est un droit droit "capricieux" et "égoïste", et lorsque l'auteur l'exerce, c'est au seul détriment de l'entrepreneur.

Enfin, selon G. Pessach dans son article 'the Author's Moral Right of Integrity in Cyberspace', le droit moral empêche la developpement d'oeuvres secondes et génère des conflits avec d'autres droits fondamentaux, comme la liberté d'expression. Le droit au respect de l'oeuvre pourrait être invoqué pour mettre fin à une oeuvre parodique par exemple. Dès lors, le droit moral priviligierait les intérêts privés à ceux du public.

Bien sûr, ces critiques sont en elles-mêmes critiquables. Par exemple, est-il vraiment de l'intérêt du public de se nourrir d'un nombre toujours croissant d'oeuvres, précisément lorsqu'il est avéré que ces oeuvres naissent de la dénaturation des oeuvres sur lesquelles elles s'appuient? Il ne fait alors aucun doute que cela conduit en définitive à un appauvrissement de la culture.

On comprend donc rapidement ce qui nous oppose : une conception de la culture. Pour le Royaume Uni, la culture, et sa protection par le droit, se conçoit avant tout comme divertissement et loisir, de sorte qu'une "oeuvre intellectuelle" est considérée comme un "produit culturel". Dès lors, on comprend ce qui suit.

Notre droit moral est perpétuel, inaliéable et imprescriptible. Les "morals rights", quant à eux, sont protégés au mieux pour une durée égale à celle des droits patrimoniaux (conformément à la Convention de Berne), soit 70 ans post mortem, et sont cessibles par contrat écrit.

En substance, le CDPA de 1988 reconnaît, comme la loi de 1957, le droit à la paternité ('right of attribution') et le droit au respect de l'oeuvre ('right of integrity'). En revanche, il reconnaît à un auteur le droit de s'opposer lorsque celui-ci a été faussement associé une oeuvre qui n'est pas de son propre fait ('the right to object to false attribution'), mais ne reconnaît pas le droit de divulgation et son corollaire, le droit de repentir et de retrait.

Notre droit moral repose principalement sur le droit de divulgation, un droit discrétionnaire susceptible d'abus. Voilà ce que souhaite précisément éviter le droit anglais. Au Royaume-Uni, le droit de divulgation est considéré comme un droit économique, au sens où il est compris dans le droit de publication (et donc négocier contractuellement). Ainsi, lorsque l'auteur s'est contractuellement engagé à l'égard d'un éditeur ('publisher'), il ne peut revenir sur sa décision de publication.

En France, c'est le contraire, bien qu'un contrat soit conclu, l'auteur peut revenir sur sa décision de divulgation pour les raisons qui sont les siennes, avant que l'éditeur (par exemple) n'est exécuté le contrat (droit de repentir), mais également une fois que l'oeuvre est sur le marché (droit de retrait). L'auteur devra tout de même indemniser l'éditeur en contrepartie (article L. 121-4 CPI), et s'il se décide à republier l'oeuvre, alors l'auteur doit faire une offre d'abord à l'ancien éditeur (droit de préemption au profit de l'éditeur).

En France, l'auteur est le seul à même de décider quand et comment aura lieu la divulgation (puisque cela revient, en coupant le "cordon ombilical", à faire passer l'oeuvre de la sphère privée à la sphère public), et cette divulgation doit être sous tendue et par une intention (volonté), et par un acte matériel (manifestation de volonté). En ce sens, l'acte de divulgation se rapproche du contrat réel. Mais ce droit ne s'épuise pas lors de la première divulgation (contrairement en droit anglais).

Voilà les principales différences esquissés, reste à souligner une nouvelle fois que les droits moraux sont cessibles en droit anglais (mais l'auteur pourra toujours s'appuyer sur le droit de la common law), ce qui bien sûr, est surprenant, car en faisant l'objet de négociations contractuelles, ces droits moraux reçoivent un traitement économique. Par ailleurs, le droit droit anglais relatif à la dénaturation est moins radicale que celui qui s'opère en France.

Pour une étude comparative du droit moral dans les pays européens, je vous renvoie à cette étude de la commission européenne, 'Moral rights in the context of the exploitation of works through digital technology'.

mardi 30 octobre 2007

Originalité en droit d'auteur v. Originality in copyright

Bon, il est vrai, ça fait quelque temps que j'ai laissé mon blog en jachère, mais depuis que j'ai constaté qu'il était pointé par d'autres blogs, cela m'encourage à publier de nouveaux billets sur une base plus régulière.

Ce billet, qui ouvre une série consacrée à une étude comparative entre le droit français et le droit anglais en matière de propriété intellectuelle, se veut résolument polémique, puisqu'il s'agit très souvent d'un sujet de controverse en France, où l'on hésite pas à caricaturer la position anglaise, du haut de notre suffisance et de notre prétention qui nous caractérise, alors que les différences ne sont peut être pas toujours aussi saillantes ou profondes. Loin de moi l'idée de minimiser les différences qui subsisent, mais je souhaite juste ouvrir un lieux d'échanges sur ce thème.

Même s'il ne fait aucun doute que le droit d'auteur, comme son nom l'indique, protège avant tout l'auteur d'une création, alors que le copyright s'intéresse plutôt au producteur-investisseur qui assure son exploitation sur le marché (voir l'article du Professeur M. Vivant), une telle dichotomie est devenu moins nette depuis, notamment, l'avènement des NTIC. En effet, il semble que la traditionnelle opposition entre l'originalité à la française caractérisée par l'empreinte de la personnalité de l'auteur, et l'originality' anglaise reposant sur les notions de 'skill, labour or judgment' et de 'not copied' s'amenuise.

'L'originality' est une disposition légale présente à la section 1 (a) du CPDA de 1998. Elle n'est requise que pour les oeuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques, et non pour les oeuvres de la seconde catégorie ('entrepreneurial works') que sont les 'sounds recording', 'films', 'broadcasts' et les 'typographical arrangements of published editions'.

Première remarque: même si l'originalité est un critère fondamental de notre droit français, force est de reconnaître que nous n'avons pas une telle disposition légale. Ce sont les tribunaux qui ont généralisé le critère d'originalité, alors expressément et seulement requis pour les titres d'oeuvres (article L. 112-4 du CPI) à l'ensemble des oeuvres de l'esprit. Textuellement parlant, le critère d'originalité semble plus primordiale en droit anglais, de part sa position de choix dans le texte de loi. Mais qu'en est il de son contenu?

Comme en France, le droit anglais bannit la protection des seules idées et concepts. Seule une idée/pensée exprimée est protégée par le copyright - c'est donc l'expression de cette idée qui est protégée - dès lors qu'elle est écrite ou imprimée (oeuvre littéraire) ou visuellement significative (oeuvre artistique).

Comme en France, le droit anglais ne prend pas en compte le mérite esthétique, la qualité ou la valeur de l'oeuvre sujette à la protection par le copyright.

Intéressons nous maintenant aux développement jurisprudentiels des tribunaux anglais. Un des critères fondamentaux de 'l'originality' est que l'oeuvre doit émaner de son auteur ('it should originate from his author'). Dans quelle mesure cette expression diffère de celle française d' "emprunte de la personnalité de l'auteur"?

En France, cela revient à montrer que la forme de l'oeuvre est personnelle, i.e que l'auteur y a mis, en quelque sorte, de sa personne. De là vient le glissement possible (et qui s'opère d'ailleurs) : attendons nous de l'auteur qu'il imprime à l'oeuvre des traits caractéristiques de sa personnalité, de sorte que seul cet auteur, et personne d'autre, a pu aboutir à ce résultat? Ou bien attendons nous de l'auteur qu'il opère des choix, et que par 'y mettre de sa personne', il fasse seulement preuve d'un certain effort, ou apport intellectuel?

La véritable difficulté de la notion d'originalité vient qu'il n'est pas facile de l'appréhender de la même manière pour toutes les oeuvres. Pour une oeuvre classique (un roman par exemple), c'est le critère d'une certaine intimité entre l'auteur et son oeuvre qui peux jouer. Mais pour les logiciels? Peut on avancer qu'un tel rapport d'intimité existe, et qu'une ligne de programme reflète la personnalité de son auteur?

Quoiqu'il en soit, pour un juriste anglais, une oeuvre émanant de son auteur signifie par exemple, la retranscription écrite ('report') de propos tenu oralement ('speech') par un homme public et publiée dans un journal(Walter v Lane [1900] AC 539), dans la mesure où cela requiert une certaine habilité. Ou plus récemment, l'édition d'une partition pour jouer une oeuvre baroque(Sawkins v Hyperion Records Ltd [2005] EWCA Civ 565).

Ce qui nous amène à évoquer la véritable différence entre originalité et 'originality' : pour que l'oeuvre soit 'original', son auteur doit avoir fait montre d'une certain degré de 'labour, skill or judgment' (même si parfois les tribunaux anglais utilise d'autres expressions qui font alors encore plus bondir le juriste français, telle que 'capital', 'effort', 'industry', knowledege', 'taste', 'ingenuity', experience' ou 'investment'), en plus de ne doit pas être la copie d'une oeuvre pré-existante.

Et c'est là que réside les critiques des juristes français à l'encontre du droit anglais. Adopter un tel critère revient à protéger toute création, y compris les plus triviales, dès lors que son auteur a fait preuve de travail, de savoir-faire ou de jugement.

Et la jurisprudence leur donne raison, comme par exemple ce cas où le mode d'emploi figurant au dos d'un produit herbicide a été reconnu comme un 'work' protégé par le copyright (voir l'arrêt Elanco v Mandops (1979).

Mais ce n'est pas toujours vrai, et la trivialité est parfois présentée par certains professeurs comme une exception (Intellectual Property Law, Bently and Sherman, p.93), comme l'illustre l'affaire d'un artiste qui demandait la protection de sa peinture, alors qu'il s'agissait "seulement " d'une trace de peinture sur son visage, ce qui a été jugé par les juges comme trivial (Merchandising Corporation v. Harpbond [1983]).

Quoiqu'il en soit, on ne peut que constater qu'en France également, et tout particulièrement pour certaines oeuvres comme les logiciels, les juges adoptent un test proche du système anglais, lorsque à la notion d'originalité la Cour de Cassation y substitue un test indéniablement plus anglosaxon, d'abord un test d'effort intellectuelle, puis suite à l'Arrêt Pachot, l'auteur n'a plus qu'à montrer son 'apport intellectuel' (Ass Pl. 7 mars 1986).

Mais soyons plus juste (et rigoureux) envers le droit anglais. Tout d'abord parce que seulement un certain type de 'skill, labour or judgement' confère l'originalité (the labour must be of the right kind), par exemple le travail ne doit pas être automatique, ou encore l'oeuvre doit faire preuve d'une certaine individualité ('individuality', voir l'arrêt MacMillan v. Cooper). Ensuite, dans le cas d'une oeuvre seconde (l'auteur s'appuie sur une oeuvre antérieure, protégée ou non par copyright), le travail doit produire un changement dans l'oeuvre, lequel changement doit par ailleurs être pertinent, i.e dans le cas d'une oeuvre artistique par exemple, il ne doit pas seulement être technique, mais doit être visiblement significatif ('visually significant' Interlego v. Tyco Industries [1989] AC 217)

Enfin, signalons que sous l'influence des directives europeénnes, précisément la Directive sur les logiciels et bases de données, ainsi que la Directive Durée, le Royaume Uni a dû introduire une conception plus 'occidentale' de l'originalité : les programmes d'ordinateurs, bases de données et les photographies doivent être des créations intellectuelles propres à leur auteur ('author's own intellectual creation').

Pour conclure, comment expliquer que le système français place la barre de l'originalité plus haute que le droit britannique ? Plutôt que de répondre par le traditionnel argument philosophique (notre conception est plus hégélienne que Lockéenne), le Professeur Bently donne une explication intéressante dans son ouvrage (précité, p.89).

En France, nous disposons d'une liste ouverte et non limitative présentant les oeuvres susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur, de sorte que c'est l'originalité qui permet à une oeuvre de devenir une oeuvre de l'esprit. En Angleterre, en revanche, l'oeuvre doit d'abord entrer dans l'une des huit catégories énoncé par le CPDA, et c'est ensuite que son degré d'originalité sera appréciée. C'est donc une différence de technique juridique, et à ce niveau, le droit anglais semble plus stricte.

Un exemple: la pochette de l'album Be Here Now d'Oasis. Noel Gallagher a fait un travail de mise en scène en disposant pour les besoins de cette pochette des objets autour d'une piscine. Un photographe était présent et a pris une photo de la scène qu'il a ensuite publié. La maison de disque a alors intenté une action sur la base de la contrefaçon, laquelle a échoué parce que le 'travail' de Noel Gallagher n'entrait dans aucune des 8 (9 à l'époque) catégories, en l'occurrence 'dramatic' ou 'artistic'.

En revanche en France, on a pu paraître plus laxiste sur la notion d'originalité, notamment s'y on se réfère à l'affaire Paradis. L'écriture du mot "Paradis" en lettres d'or sur le mur des toilettes d'un hôpital psychiatrique a été jugé par la Cour d'Appel de Paris comme étant une oeuvre originale. Or, une telle réalisation relevait plus du concept, de l'idée de décalage, que de l'expression d'une idée.

Quoiqu' il en soit, il est bien difficile, lorsque l'on s'intéresse à la notion d'originalité, de mettre de côté tout jugement esthétique. Et en un sens, la catégorisation à l'anglaise permet cela.

dimanche 29 juillet 2007

Baiser volé : l'art conceptuel et le droit d'auteur


"J'ai déposé un baiser. Une empreinte rouge est restée sur la toile. Je me suis reculée et j'ai trouvé que le tableau était encore plus beau... Vous savez, dans cette salle vouée aux dieux grecs, c'était comme si j'étais bercée, poussée par les dieux... Cette tache rouge sur l'écume blanche est le témoignage de cet instant ; du pouvoir de l'art."

C'est en ces termes que l’artiste Rindy Sam a expliqué son geste au quotidien La Provence, repris dans le Monde dans son article en date du samedi 28 juillet 2007.

Seulement voilà, ce qui peut paraître à certain comme relevant d’une démarche artistique pleine d’amour à l’égard de l’œuvre de Cy Twombly, est considérée par la galerie comme un acte de vandalisme.

Qu'est-ce que vous dites ? Un baiser sur une toile... un acte de vandalisme ?

Et oui, il y a de quoi faire sourire.

Mais, dura lex sed lex (la loi est dure, mais c'est la loi) pourra dire le juge dans quelque mois.

En effet, selon les dispositions de l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, « l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ».

Concrètement, l’auteur peut s’opposer à toute atteinte, tant matérielle que spirituelle, portée contre son œuvre.

Selon la jurisprudence, l’auteur peut "exiger le respect de son œuvre dans son intégrité et dans ses détails" (CA, 12 mars 1936), car ce "respect est dû à l’œuvre telle que l’auteur a voulu qu’elle fût" (CA, Paris, 27 septembre 1996), il a alors "le droit absolu de s’opposer à toute altération, si minime qu’elle soit, susceptible d’en altérer le caractère et de dénaturer sa pensée" (CA, Paris, 20 nov.1935).

Et nombreuses sont les décisions condamnant des mutilations. En atteste l’affaire Buffet (C.cass 1965) où l’artiste avait fait don d’une de ses œuvres qui, après avoir été apposée sur un réfrigérateur, s’est vu découper en morceaux (l’œuvre, pas l’artiste bien sûr), ou encore cette décision censurant l’ajout d’une musique dans un film muet (CA Versailles, 1994), sans parler des décisions condamnant les destructions pures et simples d’œuvres.

Ces décisions ne concernent pas seulement les œuvres dites des « beaux arts », on a vu récemment la Cour d’appel de Paris juger que la numérisation d’une chanson en vue de la transformer en une sonnerie de téléphone portable constituait une atteinte au droit au respect de l’œuvre (CA, Paris, 16 sept. 2005).

Il convient toutefois de préciser que si, en matière de droit d’auteur, le juge ne doit pas prendre en compte, selon L. 112-1, ni le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination de l’œuvre, est protégée à travers ce droit moral la personnalité de l’auteur qui s’exprime à travers l’oeuvre.

Il faut comprendre par là que ce n’est pas l’œuvre mais l’auteur qui est visé par cette disposition.

L’art conceptuel pose alors de nombreux problèmes aux juristes, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord parce que le statut de l’œuvre y est remis en cause, ce qui a conduit Neslon Goodman, il y a déjà quelques décennies, dans sa recherche de la nature de l’art, a remplacé la question ontologique "Qu'est-ce que l"Art" par celle procédurale "Quand y a-t-il Art ". Une oeuvre d'art n'est (naît) pas une oeuvre, elle le devient, dès lors qu'elle est présentée, déclarée, instituée comme telle.

Ensuite parce que le statut de l’auteur est également mis à mal, jusqu’à sa négation pure et simple, au profit d’un simple geste, d’une performance, d’un concept.

Devant une telle approche, le droit d’auteur semble désarmé, lui qui protège la personnalité de l’auteur à travers la réalisation concrète de son œuvre et postule que "les idées sont de libres parcours", par essence inappropriables en raison de leur appartenance au fonds commun de l’humanité.

D’où les casses têtes posés aux Tribunaux résultant du conflit entre le langage juridique et le langage artistique sur la qualification de l’œuvre d'art conceptuel.

Notre histoire du baiser volé nous renvoie alors aux multiples affaires de l'urinoir de Marcel Duchamp qui est encore dans toutes nos têtes.

Tout commence (enfin on fera comme si) le 20 novembre 1998 lorsque le TGI de Tarascon condamna Pierre Pinoncelli à payer près de 45 000 euros de dommages et intérêts pour avoir uriné dans l'urinoir de Marcel Duchamp et y avoir donné un coup de marteau en 1993.

Le 24 janvier 2006 c’est le TGI de Paris qui le condamne à 3 mois de prison avec sursis et 214 000 euros de dommages et intérêts pour avoir inscrit le mot "Dada" et ébréché l'urinoir de Marchel Duchamp qui, après sa restauration, était exposé au Centre Beaubourg

Enfin, le 10 février 2007, Cour d'appel de Paris, jugeant irrecevable la constitution de partie civile du Centre Pompidou, le condamna à payer (seulement) les frais de réparation de Fontaine (14 352 euros tout de même), assortis de trois mois de prison avec sursis.

Comme l'écrit J.L Reginster,
Pinoncely s'explique sur son geste : il se considère comme un artiste de performance qui donne à ses actions la dimension d'œuvres d'art. Son geste est doublement symbolique. Répondant à la mystification de Duchamp en refaisant de l'urinoir statufié une simple pissotière, il sublime ensuite l'objet par un coup de marteau assassin et lui restitue ainsi le statut artistique auquel il avait été une première fois élevé. Précisons que Duchamp lui-même avait déclaré à propos de sa "Fountain" qu'il avait voulu présenter là un exercice sur la question du goût, que le danger, c'était la délectation artistique et qu'on pouvait "faire avaler n'importe quoi aux gens". Bref, il ne se prenait pas trop au sérieux et se fichait assez ouvertement de ses admirateurs.
Il va sans dire que l’Etat, propriétaire de la « Fountain », ne le voyait pas de cet œil.
En 1998, le tribunal va donc admettre que l'urinoir de Duchamp n'est que mystification, qu'il procède en quelque sorte du paradoxe selon lequel "cela est de l'art parce que je le dis, et je le dis parce que j'ai réuni toutes les conditions pour le dire : je suis célèbre, j'ai daté et signé l'urinoir, j'en ai transformé la posture, je l'ai intitulé "Fountain".

Mais l'action de Pinoncely procède aussi de ce même esprit mystificateur : admettons qu'il urine dans une pissotière mais prétende transfigurer celle-ci en œuvre d'art par la vertu d'un coup de marteau destructeur, relève d'un état d'esprit qui manque de logique. Pinoncely ne peut rendre ainsi artistique un objet dont il a nié qu'il l'était.

Le Tribunal décide donc de prendre notre homme à son propre jeu : sur la scène de l'art conceptuel, tout devient possible puisqu'il faut accepter le caractère "artistique" de la mystification. Si Pinoncely prétend qu'il a accompli une œuvre d'art en brisant l'urinoir, il admet implicitement que Duchamp avait réalisé une telle œuvre avec sa pissotière. Et il a tenté de s'en attribuer la gloire en greffant sur l'urinoir de Duchamp sa propre vision artistique. Reconnaissant donc la valeur de l'œuvre initiale, il devra indemniser le préjudice causé pour l'avoir dénaturé !
D’autres affaires illustrent cet art de la performance.

Par exemple, le 28 juin 2006, la Cour d'appel de Paris a reconnu que l’inscription du mot "paradis" au-dessus de la porte des toilettes d'un ancien asile [si l'on est un artiste connu] est une oeuvre qui emporte pour conséquence qu’une photographie de cette porte sans autorisation est une contrefaçon. Le procès est porté en cassation (CA Paris, 28 juin 2006, Com. Com. Elec. 2006, 120)

Mais alors qu’en sera-t-il de notre artiste et de son baiser apposé sur cette toile blanche estimée tout de même à 2 millions d’euros !

Le Monde déclare qu'il existe un « rapport dissymétrique [entre ce geste et la valeur présumée du tableau] qu’il convient d’interroger et peut-être de corriger ». Selon le journaliste, « assimiler un bisous, un acte d’une infinie tendresse, à du vandalisme peut constituer un dangereux précédent où l’on verrait l’art marchand officialiser sa haine de l’amour ».

Mais l’auteur de cette toile est considéré comme "le représentant de l’art en mouvement, de l’art comme expression de la vie". Dans ce cas, le geste de Rindy, poussée par une irrésistible envie d’embrasser l’œuvre, ne procède-t-il pas également du mouvement même de la vie? Notre protagoniste n’a-t-elle pas d'ailleurs déclaré, après son geste, que les œuvres de Twombly "redonnaient de la consistance ontologique à son être" ? Et cette toile, vierge, n’appelait elle pas une réaction du public auquel elle s’adresse, dans une quête de collaboration artistique ? Bref, n'avons nous pas affaire à deux gestes artistiques, aussi légitime l'un que l'autre, qu'il convient de considérer comme formant un tout dans le processus créateur de l'oeuvre ?

Car peut-être est-ce là l’issue juridique, considérer Mlle Rindy Sam comme coauteur de l’œuvre dont le baiser est ainsi venu parachever la création d’un art en mouvement.

Liens utiles :
- A propos d'une sculpture à forme d'urinoir ou d'un urinoir élevé au statut de sculpture…
- Le journal de Musarde
- Dossier de l’actualité du droit de l’information
- Traité de la propriété littéraire et artistique (Lucas, Litec, 3e Ed, 2006).
- Droits d’auteur et droits voisins (Caron, Litec, 2006)
- L’art en conflits. L’œuvre de l’esprit entre droit et sociologie (Bernard Edelman ; Nathalie Heinich, La Découverte, 2002).

En matière de coauteur "inattendu", voici quelques affaires tirées d'un site consacré aux arnaques artistiques.
Emmanuel Pierrat fut le premier à faire reconnaître par une cour d'appel le caractère artistique d'une performance : au Louvre, Alberto Sorbelli, en porte-jarretelles, a embrassé la Joconde devant l'objectif de sa photographe. Un conflit l'opposant à cette dernière, maître Pierrat a obtenu du tribunal qu'il reconnaisse le caractère artistique plein et entier du performeur : "C'est une vieille discussion, qui a commencé avec l'affaire opposant Renoir au sculpteur Guino. Rongé par l'arthrose, Renoir donnait ses instructions à un technicien, sans intervenir physiquement dans ses sculptures. Le tribunal a reconnu un statut de coauteur à l'auxiliaire". D'autres artistes, comme Sophie Calle, ont ainsi recours à des photographes pour fixer leurs actions. Dans le cas d'Orlan, ce sont les chirugiens intervenants sur le corps de l'artiste qui peuvent se réclamer coauteur. Désormais, des contrats préalables permettent d'établir une paternité. Qui fut très tôt reconnue au couple Christo, lorsqu'ils revendiquèrent, avec succès, les droits sur les photos prises du pont Neuf empaqueté par leurs soins.


Emmanuel Pierrat écrivait naguère dans la revue L'Œil que le droit d'auteur est souvent en décalage avec l'art actuel. Son point de vue est aujourd'hui plus nuancé : "L'art contemporain poserait de nouveaux problèmes, explique-t-il, parce qu'on ne sait plus qui est l'auteur, mais le cas se pose aussi avec la Renaissance. La notion d'atelier ne date pas d'aujourd'hui, elle a toujours existé dans l'histoire de l'art. J'ai été le conseil d'Arman, et à la fin de sa vie, les pièces sortaient toutes seules ! On devrait signaler "atelier de...", dans ces cas-là. Murakami donne la liste de tous ses assistants derrière chacun de ses tableaux. Il s'agit sans doute plutôt d'une démarche artistique, ou marketing, mais c'est le seul qui, en droit, soit nickel."

mercredi 20 juin 2007

Compétence juridictionnelle en matière de contrefaçon de marque sur Internet : nouveau litige concernant les liens adwords.

Depuis qu’a été opéré en matière de contrefaçon de signe sur Internet une distinction entre la question de la compétence juridictionnelle et la question de la contrefaçon, les juridictions françaises utilisent le critère de l’accessibilité du site pour déclarer leur compétence.

Alors qu’en 2003 avec l’arrêt Roederer l’atteinte au droit des marques était caractérisée dès lors que le site était accessible en France, cela avait pour conséquence d’accorder une trop grande protection au titulaire des droits au détriment de l’exploitant du site qui lui se retrouvait dans une situation d’insécurité :
- techniquement, il ne peut éviter une diffusion mondiale de sa page,
- juridiquement, conformément à la nature du droit des marque, lequel est un droit d’interdire l’utilisation du signe sans autorisation, le titulaire du monopole légal n’a pas à démontrer l’élément intentionnel du contrefacteur.

C’est en 2005 dans l’affaire Hugo Boss que la Cour a recentré son analyse en posant pour condition que le site doit être « visé » par le public français. Ainsi il faut :
- que les produits soient offerts sur le site (i.e que la France soit désigné comme lieu de livraison). D’où l’intérêt de mentionner quelles sont les zones qui ne seront pas concernées par ces livraisons car le site ne pourra pas être suspecté de contrefaçon de marque dans ces zones.
- que le français soit utilisé dans le cas où les B ou S s’exécutent en ligne et non à la suite d’une livraison. Pour autant l’utilisation de l’anglais ne rend pas ce critère inopérant puisqu’il est compris d’un grand nombre de français et est la langue « naturelle » en matière informatique.
- que ne soient pas expressément exclus les acheteurs français.

Contre cette jurisprudence de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 6 juin 2007 s’est déclarée incompétence en considérant que « compte tenu de l’universalité de ce réseau, appliquer le critère de la simple accessibilité aurait nécessairement pour conséquence d’institutionnaliser la pratique du Forum shopping » qui consiste, pour le demandeur, en une manipulation des critères de compétence juridictionnelle pour que soient favorablement accueillis ses prétentions. Elle pose alors le critère selon lequel « il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué ».

Or la cour relève que les liens AdWords ne sont pas apparus sur le site www.google.fr destiné au public français, mais et sur les sites www.google.de, www.google.co.uk et www.google.ca, donc les sites allemands, anglais et canadiens. Elle relève en outre que les sites mis en cause renvoient eux-mêmes vers des sites étrangers et qu’enfin, ces sites sont exclusivement rédigés en langues anglaise et allemande ;

La 4ème Chambre confirme ainsi sa position prise dans un arrêt du 26 avril 2006.

Source : www.legalis.net

mardi 19 juin 2007

Le droit au sadomasochisme : validation des contrats de stupre ?


Voici un billet inspiré par l’écoute de France Inter lors de l’émission le Bien Commun qui avait pour sujet : jusqu’où la liberté sexuelle ?

A présent, dès lors que vous trouverez un partenaire sexuel consentant, tout vous sera permis…y compris la torture et les actes de barbarie.

La CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a rendu un arrêt le 17 février 2005 dans l'affaire K.A. et A.D. c. Belgique consacrant un droit à « l’autonomie personnelle (…) comprenant le droit d'entretenir des rapports sexuels (i.e) de disposer de son corps (...) jusqu’à s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne ». Cette affaire fut portée à la suite d’une condamnation d’un médecin et d’un magistrat pour coups et blessures à l’encontre de la femme de ce dernier lors de séances sadomasochistes. Contre la qualification basée sur l’article 3 de la CSDH (Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme) interdisant la torture et les actes de barbarie, les demandeurs arguaient de leur droit à la vie privée. Or, et pourtant la Cour n’en dit pas mot, ces séances étaient filmées et parfois revendues, cette diffusion rendant alors publique de tels actes. Cependant la Cour reconnaît que le consentement de la victime ayant été préalablement donnée - bien que pour la suite elle renonça à la poursuite des opérations - le fait d’agir ainsi lors de relations sexuelles constituait un fait justificatif effaçant l’infraction.

Les faits étaient les suivant. Les prévenus utilisaient des aiguilles et de la cire brûlante, frappaient violemment la victime, introduisaient une barre creuse dans son anus en y versant de la bière pour la faire déféquer, la hissaient suspendue. Ils lui infligeaient des chocs électriques, des brûlures et des entailles, lui cousaient les lèvres vulvaires et lui introduisaient, dans le vagin et l’anus, des vibrateurs, leur main, leur poing, des pinces et des poids, la marquait au fer rouge, suite à quoi la victime perdait conscience et s’effondrait. Or les prévenus ont ignoré les cris de pitié émis par la victime et donc les termes du contrat.

Cet arrêt effectue un revirement de la jurisprudence en consacrant que le droit à la vie privée, dès lors qu’il s’agit de pratiques sexuelles consentantes, prime les demandes en réparation pour les éventuels dommages physiques qui en résulteraient. La Cour fait donc de la liberté sexuelle un fait justificatif en ce que même si la qualification de torture peut être retenu à l’encontre des « sadiques », la liberté sexuelle alors mis en œuvre lors des séances sadomasochistes efface l’infraction d’atteinte à l’intégrité de la personne.

Mais alors, comment définir la liberté sexuelle ? Peut-on admettre une définition subjective basée sur les intentions de ses auteurs - mais alors devons nous garder à l’esprit que pour Sade, dans les 120 journées de Sodome, le summum de la liberté sexuelle est l’accomplissement d’un crime - ou bien ne faut il pas plutôt soutenir un qualification objective? Dans ce cas, doit on rapprocher le sadomasochisme du jeu, où l’on parle, en matière sportive, d’acceptation des risques – comprendre les coups que l’on peut recevoir sans que ne soient enfreint les règle du jeu? Mais le sadomasochisme relève à la fois d’une pratique violente, ce qui a pour conséquence qu’en droit pénal général le consentement de la victime est indifférent pour caractériser l’infraction, mais aussi d’une pratique sexuelle où le consentement est alors requis (le consentement des partenaires déterminant s’il s’agit de rapports sexuels ou bien de viols). D'où la difficulté d'une telle qualification objective.

Mais venons en à l’attendu de la CEDH et à l’introduction de ce concept d’autonomie personnelle. « L’article 8 de la Convention protège le droit à l’épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle. Ce droit implique le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur, en ce compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des plus intimes de la sphère privée et est à ce titre protégé par cette disposition. Le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle. A cet égard, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps » (Pretty c. Royaume-Uni, arrêt du 29 avril 2002).

Il en résulte que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre-arbitre des individus. Il faut dès lors qu’il existe des « raisons particulièrement graves » pour que soit justifiée, aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité. »

Ce droit à l’autonomie personnelle implique le droit d’entretenir des rapports sexuels avec autrui lequel découle du droit de disposer de son corps, jusqu’à s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. Il s’agirait donc bien d’un droit au sadomasochisme. Pourtant en l’espèce, et cela n’est pas négligeable et la Cour n’en fait rien, il s’agissait du corps d’autrui – la femme du magistrat. Autant peut-on admettre le droit à disposer de son corps, mais certainement pas le droit de disposer du corps d’autrui qui reviendrait alors à légitimer l’esclavage. Mais pourquoi parler d’autonomie personnelle et non de liberté ? D’autant que ce concept a un contenu plus morale que la liberté, et une étendue elle-même plus large car la liberté s’arrête là où commence celle d’autrui, contrairement à l’autonomie qui est la faculté de se donner sa propre loi, faculté d’autodétermination, sans se soucier d’autrui. On relèvera donc la dérive contenue dans ce considérant qui consacre la toute puissance du consentement et donc de l’autonomie de la volonté. Car à sa lecture, dès lors que la personne est consentante, elle pourra s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. Alors comment interdire à un pauvre de vendre ses organes par exemple? Car la dérive est bien là, ce sont les personnes en situation de précarité qui consentiront facilement à se mutiler. Et peut-on raisonnablement soutenir que leur consentement est véritablement libre et éclairé, et non pas altéré et aliéné par leur situation ? une femme s’adonnant au sadomasochisme exprime-t-elle un consentement plus éclairé que celle victime d’excision ? La polygamie pourra-t-elle trouver un justification de part cette formulation ?

Cet attendu est très gênant dans la mesure où la contractualisation d'un rapport sexuel engendrant l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne a pour conséquence de valider le désir anthropophagique de l'homme. Ce contrat montre en définitive le désir de servitude inhérent à l'Homme. Or de part ce contrat, la victime en vient à consentir d'être traité comme une chose et non comme un être humain, c'est la négation même de sa propre humanité qui engendrerait ce plaisir masochiste. Bref, une jouissance née de l'esclavage. Or, je ne vois pas comment la Cour peut parler de consentement, alors même qu'il s'agit en définitive d'une convention par laquelle la victime renonce à sa liberté, de sorte qu'en se dépouillant de sa volonté, elle accepte sa transformation en chose. Un tel contrat ne peut être que nulle et de nullité absolue.

Mais il reste légitime de se poser la question de l’utilité d’une telle notion car la Cour aurait pu utiliser l’article 17 de la CSDH concernant l’abus de droit : « aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »
On ne peut pas abuser du droit fondamental à la vie privée (article 8) pour évincer un droit aussi fondamental que l’interdiction de la torture (article 3).

Notons par ailleurs cette autre dérive qu’est la consécration par la Cour d’un droit d’entretenir des rapports sexuels. Or il ne s’agit non pas d’un droit fondamental mais d’une liberté fondamentale, celle de s’adonner ou non à des pratiques sexuelles. Car, s’il s’agissait d’un droit, l’Etat devrait alors fournir les moyens nécessaires à tout individu de satisfaire ce droit…Voyez où cela nous mènerait…

Reste enfin à s’interroger sur la place du consentement dans cette affaire dans la mesure où il en constitue le véritable enjeu. On observe de fait les dérives de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle. La cour s’attache au consentement donné par la victime et reconnaît ce critère pour suffisant. Pourtant, alors qu’elle ne s’interroge même pas sur le fait de savoir si son consentement n'était pas vicié, tout juste s’attache-t-elle à reconnaître que les termes du contrat n'ont pas été respecté lorsque les protagonistes ont continué leur agissement contrairement à la volonté de la victime. Or l’on sait - suffit de regarder le droit du travail ou le droit de la consommation - que le consentement n’est pas un critère suffisant à lui tout seul…car le pouvoir de dire "non" appartient toujours au plus fort, jamais au plus faible.

Alors, fallait-il invoquer le concept de dignité humaine ? Selon Bénédicte Lavaud-Legendre non. Dans son ouvrage, où sont passées les bonnes mœurs, elle oppose la dignité actuée, propre à tout un chacun qui est en fait le respect de sa personnalité (sa façon de vivre, de se comporter, de s’affirmer dans la société) à la dignité fondamentale, dénominateur commun de tout être humain en tant qu’il appartient à l’humanité. Alors que la première peut être niée, ce n’est pas le cas de la seconde en ce que sa négation ne serait autre chose que l’extermination d’un individu ou d’un peuple en considération de sa prétendue non appartenance au genre humain (ce qui bien entendu n'est pas acceptable et conduit à des génocides tels que la Shoa).
Pour Muriel Fabre-Magnan, ce concept est en l’espèce inutile en raison de l’article 17 précité qui interdit l’utilisation abusive d’un droit fondamental pour en faire plier un autre.

Ainsi, que dire cet arrêt : dirigeons nous vers des rapports humains toujours plus libres via la consécration de concept tel que l’autonomie personnelle, ou bien l’évolution actuelle des droits de l’Homme n’en dénature-t-elle pas le projet initiale? En effet, on sent poindre une tendance à l'objectivation de l'Homme, à sa réification, comme en témoigne les législations portant sur la bioéthique, la brevetabilité du vivant, bref le mouvement de "biojuridicisation".
Paradoxalement, la CEDH en vient a consacré un droit de l'Homme réifié.

Sur cette arrêt, je vous conseille le billet de Diane Roman



lundi 18 juin 2007

Décret d’application sur le droit de suite


Il est un principe du droit d’auteur souvent mal compris des néophytes : la distinction entre l’œuvre sur lesquelles portent les droits de propriété intellectuelle et le support relevant du droit de propriété du code civil. Or une des exceptions à ce principe réside dans le droit de suite consacré législativement pour la première fois en France en 1920, modifié en 1957 puis en 2006 par transposition de la directive de 2001 et dont le décret d’application du 10 mai 2007 est entré en vigueur au 1er juin.

Définition. Le droit de suite fait naître, lors d’une vente aux enchères, un droit à rémunération pour le titulaire des droits sur l’œuvre. C’est la disposition du support qui se traduit par l’exercice d’un droit de suite. La perception du droit à rémunération est calculée sur le prix de vente du support. Il s’agit, selon l’article L. 122-8 d’un « droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une œuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art ». Selon le décret, « Le droit de suite n'est pas exigible si le prix de vente de l'oeuvre, tel que défini à l'alinéa précédent, est inférieur à 750 euros ».

Œuvres concernées. Le droit de suite est réservé aux œuvres d’art graphiques et plastiques (tant des beaux-arts que des arts appliqués), que celles-ci soient réalisées directement de la main de l’artiste ou sous son contrôle. Selon L. 122-8 « on entend par œuvres originales au sens du présent article les œuvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l'artiste lui-même ou sous sa responsabilité » (cf. la liste non limitative du décret d’application codifié à l’article R. 122-2).
En revanche, « ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'œuvre directement de l'auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 € ».

Ventes concernées. Avant la loi DADVSI de 2006, les textes aménageaient le droit de suite exclusivement pour les ventes réalisées dans le cadre d’enchères publiques. En l’absence d’un décret d’application, les commerçants (donc les galeries) étaient de fait mis à l’écart, mais devaient cotiser pour la sécurité sociale des artistes. Maintenant tous les professionnels sont concernés. « Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ».

Les taux. Avant la réforme, le titulaire du droit de suite percevait 3% sur le total du prix de vente. Depuis le décret du 10 mai 2007 modifiant l’article R122-5, lequel reprend les taux prévus par la directive :
« Lorsque le prix de vente est supérieur à 50 000 euros, le droit de suite est fixé comme suit :
- 4 % pour la première tranche de 50 000 euros du prix de vente tel que défini à l'article R. 122-4 ;
- 3 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 50 000,01 et 200 000 euros ;
- 1 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 200 000,01 et 350 000 euros ;
- 0,5 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 350 000,01 et 500 000 euros ;
- 0,25 % pour la tranche du prix de vente dépassant 500 000 euros.

Le montant total du droit exigible lors de la vente d'une oeuvre ne peut excéder 12 500 euros. ».

Notons que la révision de la Directive est prévue pour 2009, l'interprétation faite par la loi française pourra donc être modifiée.