mercredi 20 juin 2007

Compétence juridictionnelle en matière de contrefaçon de marque sur Internet : nouveau litige concernant les liens adwords.

Depuis qu’a été opéré en matière de contrefaçon de signe sur Internet une distinction entre la question de la compétence juridictionnelle et la question de la contrefaçon, les juridictions françaises utilisent le critère de l’accessibilité du site pour déclarer leur compétence.

Alors qu’en 2003 avec l’arrêt Roederer l’atteinte au droit des marques était caractérisée dès lors que le site était accessible en France, cela avait pour conséquence d’accorder une trop grande protection au titulaire des droits au détriment de l’exploitant du site qui lui se retrouvait dans une situation d’insécurité :
- techniquement, il ne peut éviter une diffusion mondiale de sa page,
- juridiquement, conformément à la nature du droit des marque, lequel est un droit d’interdire l’utilisation du signe sans autorisation, le titulaire du monopole légal n’a pas à démontrer l’élément intentionnel du contrefacteur.

C’est en 2005 dans l’affaire Hugo Boss que la Cour a recentré son analyse en posant pour condition que le site doit être « visé » par le public français. Ainsi il faut :
- que les produits soient offerts sur le site (i.e que la France soit désigné comme lieu de livraison). D’où l’intérêt de mentionner quelles sont les zones qui ne seront pas concernées par ces livraisons car le site ne pourra pas être suspecté de contrefaçon de marque dans ces zones.
- que le français soit utilisé dans le cas où les B ou S s’exécutent en ligne et non à la suite d’une livraison. Pour autant l’utilisation de l’anglais ne rend pas ce critère inopérant puisqu’il est compris d’un grand nombre de français et est la langue « naturelle » en matière informatique.
- que ne soient pas expressément exclus les acheteurs français.

Contre cette jurisprudence de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 6 juin 2007 s’est déclarée incompétence en considérant que « compte tenu de l’universalité de ce réseau, appliquer le critère de la simple accessibilité aurait nécessairement pour conséquence d’institutionnaliser la pratique du Forum shopping » qui consiste, pour le demandeur, en une manipulation des critères de compétence juridictionnelle pour que soient favorablement accueillis ses prétentions. Elle pose alors le critère selon lequel « il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué ».

Or la cour relève que les liens AdWords ne sont pas apparus sur le site www.google.fr destiné au public français, mais et sur les sites www.google.de, www.google.co.uk et www.google.ca, donc les sites allemands, anglais et canadiens. Elle relève en outre que les sites mis en cause renvoient eux-mêmes vers des sites étrangers et qu’enfin, ces sites sont exclusivement rédigés en langues anglaise et allemande ;

La 4ème Chambre confirme ainsi sa position prise dans un arrêt du 26 avril 2006.

Source : www.legalis.net

mardi 19 juin 2007

Le droit au sadomasochisme : validation des contrats de stupre ?


Voici un billet inspiré par l’écoute de France Inter lors de l’émission le Bien Commun qui avait pour sujet : jusqu’où la liberté sexuelle ?

A présent, dès lors que vous trouverez un partenaire sexuel consentant, tout vous sera permis…y compris la torture et les actes de barbarie.

La CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a rendu un arrêt le 17 février 2005 dans l'affaire K.A. et A.D. c. Belgique consacrant un droit à « l’autonomie personnelle (…) comprenant le droit d'entretenir des rapports sexuels (i.e) de disposer de son corps (...) jusqu’à s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne ». Cette affaire fut portée à la suite d’une condamnation d’un médecin et d’un magistrat pour coups et blessures à l’encontre de la femme de ce dernier lors de séances sadomasochistes. Contre la qualification basée sur l’article 3 de la CSDH (Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme) interdisant la torture et les actes de barbarie, les demandeurs arguaient de leur droit à la vie privée. Or, et pourtant la Cour n’en dit pas mot, ces séances étaient filmées et parfois revendues, cette diffusion rendant alors publique de tels actes. Cependant la Cour reconnaît que le consentement de la victime ayant été préalablement donnée - bien que pour la suite elle renonça à la poursuite des opérations - le fait d’agir ainsi lors de relations sexuelles constituait un fait justificatif effaçant l’infraction.

Les faits étaient les suivant. Les prévenus utilisaient des aiguilles et de la cire brûlante, frappaient violemment la victime, introduisaient une barre creuse dans son anus en y versant de la bière pour la faire déféquer, la hissaient suspendue. Ils lui infligeaient des chocs électriques, des brûlures et des entailles, lui cousaient les lèvres vulvaires et lui introduisaient, dans le vagin et l’anus, des vibrateurs, leur main, leur poing, des pinces et des poids, la marquait au fer rouge, suite à quoi la victime perdait conscience et s’effondrait. Or les prévenus ont ignoré les cris de pitié émis par la victime et donc les termes du contrat.

Cet arrêt effectue un revirement de la jurisprudence en consacrant que le droit à la vie privée, dès lors qu’il s’agit de pratiques sexuelles consentantes, prime les demandes en réparation pour les éventuels dommages physiques qui en résulteraient. La Cour fait donc de la liberté sexuelle un fait justificatif en ce que même si la qualification de torture peut être retenu à l’encontre des « sadiques », la liberté sexuelle alors mis en œuvre lors des séances sadomasochistes efface l’infraction d’atteinte à l’intégrité de la personne.

Mais alors, comment définir la liberté sexuelle ? Peut-on admettre une définition subjective basée sur les intentions de ses auteurs - mais alors devons nous garder à l’esprit que pour Sade, dans les 120 journées de Sodome, le summum de la liberté sexuelle est l’accomplissement d’un crime - ou bien ne faut il pas plutôt soutenir un qualification objective? Dans ce cas, doit on rapprocher le sadomasochisme du jeu, où l’on parle, en matière sportive, d’acceptation des risques – comprendre les coups que l’on peut recevoir sans que ne soient enfreint les règle du jeu? Mais le sadomasochisme relève à la fois d’une pratique violente, ce qui a pour conséquence qu’en droit pénal général le consentement de la victime est indifférent pour caractériser l’infraction, mais aussi d’une pratique sexuelle où le consentement est alors requis (le consentement des partenaires déterminant s’il s’agit de rapports sexuels ou bien de viols). D'où la difficulté d'une telle qualification objective.

Mais venons en à l’attendu de la CEDH et à l’introduction de ce concept d’autonomie personnelle. « L’article 8 de la Convention protège le droit à l’épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle. Ce droit implique le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur, en ce compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des plus intimes de la sphère privée et est à ce titre protégé par cette disposition. Le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle. A cet égard, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps » (Pretty c. Royaume-Uni, arrêt du 29 avril 2002).

Il en résulte que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre-arbitre des individus. Il faut dès lors qu’il existe des « raisons particulièrement graves » pour que soit justifiée, aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité. »

Ce droit à l’autonomie personnelle implique le droit d’entretenir des rapports sexuels avec autrui lequel découle du droit de disposer de son corps, jusqu’à s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. Il s’agirait donc bien d’un droit au sadomasochisme. Pourtant en l’espèce, et cela n’est pas négligeable et la Cour n’en fait rien, il s’agissait du corps d’autrui – la femme du magistrat. Autant peut-on admettre le droit à disposer de son corps, mais certainement pas le droit de disposer du corps d’autrui qui reviendrait alors à légitimer l’esclavage. Mais pourquoi parler d’autonomie personnelle et non de liberté ? D’autant que ce concept a un contenu plus morale que la liberté, et une étendue elle-même plus large car la liberté s’arrête là où commence celle d’autrui, contrairement à l’autonomie qui est la faculté de se donner sa propre loi, faculté d’autodétermination, sans se soucier d’autrui. On relèvera donc la dérive contenue dans ce considérant qui consacre la toute puissance du consentement et donc de l’autonomie de la volonté. Car à sa lecture, dès lors que la personne est consentante, elle pourra s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. Alors comment interdire à un pauvre de vendre ses organes par exemple? Car la dérive est bien là, ce sont les personnes en situation de précarité qui consentiront facilement à se mutiler. Et peut-on raisonnablement soutenir que leur consentement est véritablement libre et éclairé, et non pas altéré et aliéné par leur situation ? une femme s’adonnant au sadomasochisme exprime-t-elle un consentement plus éclairé que celle victime d’excision ? La polygamie pourra-t-elle trouver un justification de part cette formulation ?

Cet attendu est très gênant dans la mesure où la contractualisation d'un rapport sexuel engendrant l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne a pour conséquence de valider le désir anthropophagique de l'homme. Ce contrat montre en définitive le désir de servitude inhérent à l'Homme. Or de part ce contrat, la victime en vient à consentir d'être traité comme une chose et non comme un être humain, c'est la négation même de sa propre humanité qui engendrerait ce plaisir masochiste. Bref, une jouissance née de l'esclavage. Or, je ne vois pas comment la Cour peut parler de consentement, alors même qu'il s'agit en définitive d'une convention par laquelle la victime renonce à sa liberté, de sorte qu'en se dépouillant de sa volonté, elle accepte sa transformation en chose. Un tel contrat ne peut être que nulle et de nullité absolue.

Mais il reste légitime de se poser la question de l’utilité d’une telle notion car la Cour aurait pu utiliser l’article 17 de la CSDH concernant l’abus de droit : « aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »
On ne peut pas abuser du droit fondamental à la vie privée (article 8) pour évincer un droit aussi fondamental que l’interdiction de la torture (article 3).

Notons par ailleurs cette autre dérive qu’est la consécration par la Cour d’un droit d’entretenir des rapports sexuels. Or il ne s’agit non pas d’un droit fondamental mais d’une liberté fondamentale, celle de s’adonner ou non à des pratiques sexuelles. Car, s’il s’agissait d’un droit, l’Etat devrait alors fournir les moyens nécessaires à tout individu de satisfaire ce droit…Voyez où cela nous mènerait…

Reste enfin à s’interroger sur la place du consentement dans cette affaire dans la mesure où il en constitue le véritable enjeu. On observe de fait les dérives de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle. La cour s’attache au consentement donné par la victime et reconnaît ce critère pour suffisant. Pourtant, alors qu’elle ne s’interroge même pas sur le fait de savoir si son consentement n'était pas vicié, tout juste s’attache-t-elle à reconnaître que les termes du contrat n'ont pas été respecté lorsque les protagonistes ont continué leur agissement contrairement à la volonté de la victime. Or l’on sait - suffit de regarder le droit du travail ou le droit de la consommation - que le consentement n’est pas un critère suffisant à lui tout seul…car le pouvoir de dire "non" appartient toujours au plus fort, jamais au plus faible.

Alors, fallait-il invoquer le concept de dignité humaine ? Selon Bénédicte Lavaud-Legendre non. Dans son ouvrage, où sont passées les bonnes mœurs, elle oppose la dignité actuée, propre à tout un chacun qui est en fait le respect de sa personnalité (sa façon de vivre, de se comporter, de s’affirmer dans la société) à la dignité fondamentale, dénominateur commun de tout être humain en tant qu’il appartient à l’humanité. Alors que la première peut être niée, ce n’est pas le cas de la seconde en ce que sa négation ne serait autre chose que l’extermination d’un individu ou d’un peuple en considération de sa prétendue non appartenance au genre humain (ce qui bien entendu n'est pas acceptable et conduit à des génocides tels que la Shoa).
Pour Muriel Fabre-Magnan, ce concept est en l’espèce inutile en raison de l’article 17 précité qui interdit l’utilisation abusive d’un droit fondamental pour en faire plier un autre.

Ainsi, que dire cet arrêt : dirigeons nous vers des rapports humains toujours plus libres via la consécration de concept tel que l’autonomie personnelle, ou bien l’évolution actuelle des droits de l’Homme n’en dénature-t-elle pas le projet initiale? En effet, on sent poindre une tendance à l'objectivation de l'Homme, à sa réification, comme en témoigne les législations portant sur la bioéthique, la brevetabilité du vivant, bref le mouvement de "biojuridicisation".
Paradoxalement, la CEDH en vient a consacré un droit de l'Homme réifié.

Sur cette arrêt, je vous conseille le billet de Diane Roman



lundi 18 juin 2007

Décret d’application sur le droit de suite


Il est un principe du droit d’auteur souvent mal compris des néophytes : la distinction entre l’œuvre sur lesquelles portent les droits de propriété intellectuelle et le support relevant du droit de propriété du code civil. Or une des exceptions à ce principe réside dans le droit de suite consacré législativement pour la première fois en France en 1920, modifié en 1957 puis en 2006 par transposition de la directive de 2001 et dont le décret d’application du 10 mai 2007 est entré en vigueur au 1er juin.

Définition. Le droit de suite fait naître, lors d’une vente aux enchères, un droit à rémunération pour le titulaire des droits sur l’œuvre. C’est la disposition du support qui se traduit par l’exercice d’un droit de suite. La perception du droit à rémunération est calculée sur le prix de vente du support. Il s’agit, selon l’article L. 122-8 d’un « droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une œuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art ». Selon le décret, « Le droit de suite n'est pas exigible si le prix de vente de l'oeuvre, tel que défini à l'alinéa précédent, est inférieur à 750 euros ».

Œuvres concernées. Le droit de suite est réservé aux œuvres d’art graphiques et plastiques (tant des beaux-arts que des arts appliqués), que celles-ci soient réalisées directement de la main de l’artiste ou sous son contrôle. Selon L. 122-8 « on entend par œuvres originales au sens du présent article les œuvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l'artiste lui-même ou sous sa responsabilité » (cf. la liste non limitative du décret d’application codifié à l’article R. 122-2).
En revanche, « ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'œuvre directement de l'auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 € ».

Ventes concernées. Avant la loi DADVSI de 2006, les textes aménageaient le droit de suite exclusivement pour les ventes réalisées dans le cadre d’enchères publiques. En l’absence d’un décret d’application, les commerçants (donc les galeries) étaient de fait mis à l’écart, mais devaient cotiser pour la sécurité sociale des artistes. Maintenant tous les professionnels sont concernés. « Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ».

Les taux. Avant la réforme, le titulaire du droit de suite percevait 3% sur le total du prix de vente. Depuis le décret du 10 mai 2007 modifiant l’article R122-5, lequel reprend les taux prévus par la directive :
« Lorsque le prix de vente est supérieur à 50 000 euros, le droit de suite est fixé comme suit :
- 4 % pour la première tranche de 50 000 euros du prix de vente tel que défini à l'article R. 122-4 ;
- 3 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 50 000,01 et 200 000 euros ;
- 1 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 200 000,01 et 350 000 euros ;
- 0,5 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 350 000,01 et 500 000 euros ;
- 0,25 % pour la tranche du prix de vente dépassant 500 000 euros.

Le montant total du droit exigible lors de la vente d'une oeuvre ne peut excéder 12 500 euros. ».

Notons que la révision de la Directive est prévue pour 2009, l'interprétation faite par la loi française pourra donc être modifiée.