L’inscription sur un site communautaire est aujourd’hui connue de tous. Avant de vous inscrire, vous devez fournir vos données personnelles, et accepter les conditions d’utilisation. FB ne déroge pas à la règle.
En matière de condition générale de vente, l’usage recommande un acte positif de la part d’un internaute, i.e que ce dernier doit cocher un bouton « j’accepte les conditions » pour finaliser sa souscription (à une prestation), son achat (pour un bien).
Dans le cas de FB, cela n’est pas requis, puisque c’est en cliquant sur le bouton « inscription » que l’on reconnaît avoir lu, et accepté, les conditions d’utilisation. Puisque la prestation est gratuite, le procédé ne gêne pas vraiment.
S’agissant d’un contrat américain, les conditions d’utilisation de FB sont dénommées « Terms of use ». Celles-ci disposent que le simple fait d’accéder au site FB ou de mettre un lien internet pointant sur le site de FB (sur son blog par exemple) vaut acceptation desdites conditions.
Devant le débat suscité par la récente modification (puis annulation de ladite modification) des conditions d'utilisation de FB, ce billet veut apporter sa modeste pierre à l'édifice, en abordant successivement la question de la portée juridique des modifications des conditions générales d'utilisation (1), la question de la cession des droits d'auteurs des mineurs (2) et enfin, la question relative à la loi applicable au contrat FB (3).
1. L’adhésion de l’internaute aux modifications des « Terms of use » de FB.
A la suite des récentes polémiques concernant la modification des conditions d’utilisation de FB, il est bon de citer la clause litigieuse, qui dispose, aujourd’hui :
"We reserve the right, at our sole discretion, to change, modify, add, or delete portions of these Terms of Use at any time without further notice. If we do this, we will post the changes to these Terms of Use on this page and will indicate at the top of this page the date these terms were last revised. Your continued use of the Service or the Site after any such changes constitutes your acceptance of the new Terms of Use. If you do not agree to abide by these or any future Terms of Use, do not use or access (or continue to use or access) the Service or the Site. It is your responsibility to regularly check the Site to determine if there have been changes to these Terms of Use and to review such changes."
Le contrat est donc très clair. En acceptant les conditions d’utilisation, vous avez consenti à ce que FB puisse le modifier unilatéralement, étant précisé qu’il est de votre responsabilité de vous renseigner sur les éventuelles modifications apportées (ce qui est bien sûr contestable), et libre à vous de vous désinscrire si ces nouvelles conditions d’utilisation ne vous conviennent pas.
Bref, un joli contrat d’adhésion, mais en même temps, force est de reconnaître qu’en pratique, il serait difficile de faire autrement.
Toutefois, en cas de litige avec un utilisateur français du site FB, mais à supposer au préalable que la loi française soit applicable (voir 3.), ce qui semble néanmoins peu probable au vu de la jurisprudence, et notamment celle-ci, il serait possible d’exciper la nullité de cette clause au motif que : "Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, est interdite la clause ayant pour objet ou pour effet de réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les caractéristiques du bien à livrer ou du service à rendre." (l’article R 132-2 du Code de la consommation).
2. La question de la cession des droits d'auteur des mineurs ?
Au besoin, nous rappelons la clause litigieuse relative à la cession des droits d'auteurs (et pas seulement d'ailleurs).
« By posting User Content to any part of the Site, you automatically grant, and you represent and warrant that you have the right to grant, to the Company an irrevocable, perpetual, non-exclusive, transferable, fully paid, worldwide license (with the right to sublicense) to use, copy, publicly perform, publicly display, reformat, translate, excerpt (in whole or in part) and distribute such User Content for any purpose, commercial, advertising, or otherwise, on or in connection with the Site or the promotion thereof, to prepare derivative works of, or incorporate into other works, such User Content, and to grant and authorize sublicenses of the foregoing. You may remove your User Content from the Site at any time. If you choose to remove your User Content, the license granted above will automatically expire, however you acknowledge that the Company may retain archived copies of your User Content. Facebook does not assert any ownership over your User Content; rather, as between us and you, subject to the rights granted to us in these Terms, you retain full ownership of all of your User Content and any intellectual property rights or other proprietary rights associated with your User Content. »
Outre l’inscription d’individu majeur qui ne pose pas de problème (sic !), l’inscription au site FB est permise uniquement aux mineurs ayant entre 13 et 18 ans et étant inscrit au lycée ou à l’Université .
Cette double condition, cumulative, est quelque peu surprenante. La seule réponse étant surement d’ordre historique, car FB est depuis son origine un réseau social estudiantin.
Toutefois, une fois les conditions d'utilisation acceptées, encore faut-il que, pour produire ses effets, le contrat soit valable.
Or, en droit français, dans l’hypothèse d’une cession des droits d'auteur d’un mineur, cette clause pose problème.
En effet, en application de l’article 1124 du Code civil, "sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi : les mineurs non émancipés ; (…)." L’article 389-3, §1 du Code civil dispose alors : "L'administrateur légal représentera le mineur dans tous les actes civils, sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes".
Cette deuxième partie de phrase permet d’ores et déjà d’évacuer l’objection selon laquelle le contrat conclu entre le mineur et FB serait nul. En effet, depuis toujours, la pratique admet qu'un mineur, adolescent ou même enfant, puisse passer seuls des actes usuels. Bien que n’étant pas définis par la loi, les actes usuels renvoient à des "contrats modestes liés aux besoins quotidiens de l'enfant, pour lesquels l'origine des deniers utilisés est sans intérêt et pour lesquels les tiers contractants n'ont pas à se soucier de la capacité du mineur". (Isabelle CORPART, Répertoire Dalloz). Mais FB serait il un besoin (sic!) pour l’adolescent ? En tout état de cause, il doit s'agir d'opérations modestes et d'actes de la vie courante ; les actes faisant courir un risque au mineur sont exclus.
Concernant la cession de droit d’auteur, celle-ci étant un "acte civil" relatif à la cession d’un bien immatériel grevant son patrimoine, le mineur doit donc être représenté par son administrateur légal. A cet égard, s’agissant d’un acte de disposition, l’accord des deux parents est requis (articles 389-4 et 389-5 du Code civil).
Néanmoins, le mineur peut courir le risque de "s’engager" lui-même. S’agissant d’un acte que les administrateurs auraient pu faire seul, l’acte de cession n’encourt la nullité (relative) si et seulement si le mineur a subi une lésion. En vertu de l'article 1305 du code civil, le mineur peut en conserver le bénéfice si la cession s'avère avantageuse pour lui. Reste la possibilité de l’article 1308 Code civil qui prévoit l’hypothèse du mineur s’engageant dans le cadre de sa profession (très théorique).
3. Quid de l’application de la loi française ?
En vertu des « Terms of use », le contrat est soumis à la loi de l’Etat du Delaware. Dès lors, tout litige relatif à l’exécution et à l’interprétation du contrat doit être tranché en application des lois de cet Etat. Quant à la compétence du tribunal, ce sont les Tribunaux de la ville de Californie qui sont désignés.
Dans ces conditions, peut-on faire appliquer la loi française ? S’agissant d’obligation contractuelle, il est nécessaire de se tourner vers le Règlement Rome I.
La première hypothèse consiste à interpréter le contrat FB en tant que contrat civil. Par conséquent, il faut se tourner vers l’article 3.1 du Règlement qui dispose : "Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat."
En l’espèce, les parties ont donc choisi la loi de l’Etat du Delaware.
En revanche, par exception, le Règlement dispose: "Lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne porte pas atteinte à l'application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord."
Peut-on dès lors demander l’application de la loi française au motif qu'on ne peut y déroger ?
Tout d’abord, est exclu du champ du la Convention (qui a valeur universelle), "a) l'état et la capacité juridique des personnes physiques".
Il est alors possible de faire jouer la règle de conflit française qui désigne, sur le fondement de l’article 3 code civil qui : "les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. (…). Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissant les Français, même résidant à l’étranger".
Dès lors, dans l’hypothèse d’un ado qui s’est inscrit seul sur FB (ce qui représente… 99,9% des cas), le cession de ses droits d’auteur ne sera pas valable en raison de son incapacité juridique à le faire.
La seconde hypothèse consiste à considérer les conditions d’utilisations comme un contrat de consommation au sens du Règlement Rome I.
Selon ce Règlement, "un contrat conclu par une personne physique (ci-après "le consommateur"), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après "le professionnel"), agissant dans l'exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel:
a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou
b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,
et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité."
L'activité de FB est clairement, bien que pas uniquement, dirigée vers le public français, ce que la récente disponibilité du site en langue française est venue confirmer. Sur ce fondement, la loi applicable pourrait donc être la loi française .
Conclusion
En conséquence, mais à supposer la loi française applicable, il est possible de conclure :
Sur la forme, s’agissant de la cession des droits d’auteurs par des mineurs, la clause de FB n’est pas valable dès lors que l’adolescent s’est inscrit sans l’autorisation de ses parents.
Sur le fond, s’agissant de l’étendue de la cession des droits d’auteur, le droit français est très stricte à cet égard. L’article 131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée."
Or, la clause de FB ne respecte pas ce formalisme.
En définitive, la seule revendication réellement envisageable concerne le droit moral sur les oeuvres. Celui-ci est inaliénable en droit français, et est considéré comme une loi de police par les Tribunaux français, ce qui permet, en dépit de l'application de la loi californienne, une application dérogatoire de la loi française sur ce point.