mardi 19 juin 2007

Le droit au sadomasochisme : validation des contrats de stupre ?


Voici un billet inspiré par l’écoute de France Inter lors de l’émission le Bien Commun qui avait pour sujet : jusqu’où la liberté sexuelle ?

A présent, dès lors que vous trouverez un partenaire sexuel consentant, tout vous sera permis…y compris la torture et les actes de barbarie.

La CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a rendu un arrêt le 17 février 2005 dans l'affaire K.A. et A.D. c. Belgique consacrant un droit à « l’autonomie personnelle (…) comprenant le droit d'entretenir des rapports sexuels (i.e) de disposer de son corps (...) jusqu’à s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne ». Cette affaire fut portée à la suite d’une condamnation d’un médecin et d’un magistrat pour coups et blessures à l’encontre de la femme de ce dernier lors de séances sadomasochistes. Contre la qualification basée sur l’article 3 de la CSDH (Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme) interdisant la torture et les actes de barbarie, les demandeurs arguaient de leur droit à la vie privée. Or, et pourtant la Cour n’en dit pas mot, ces séances étaient filmées et parfois revendues, cette diffusion rendant alors publique de tels actes. Cependant la Cour reconnaît que le consentement de la victime ayant été préalablement donnée - bien que pour la suite elle renonça à la poursuite des opérations - le fait d’agir ainsi lors de relations sexuelles constituait un fait justificatif effaçant l’infraction.

Les faits étaient les suivant. Les prévenus utilisaient des aiguilles et de la cire brûlante, frappaient violemment la victime, introduisaient une barre creuse dans son anus en y versant de la bière pour la faire déféquer, la hissaient suspendue. Ils lui infligeaient des chocs électriques, des brûlures et des entailles, lui cousaient les lèvres vulvaires et lui introduisaient, dans le vagin et l’anus, des vibrateurs, leur main, leur poing, des pinces et des poids, la marquait au fer rouge, suite à quoi la victime perdait conscience et s’effondrait. Or les prévenus ont ignoré les cris de pitié émis par la victime et donc les termes du contrat.

Cet arrêt effectue un revirement de la jurisprudence en consacrant que le droit à la vie privée, dès lors qu’il s’agit de pratiques sexuelles consentantes, prime les demandes en réparation pour les éventuels dommages physiques qui en résulteraient. La Cour fait donc de la liberté sexuelle un fait justificatif en ce que même si la qualification de torture peut être retenu à l’encontre des « sadiques », la liberté sexuelle alors mis en œuvre lors des séances sadomasochistes efface l’infraction d’atteinte à l’intégrité de la personne.

Mais alors, comment définir la liberté sexuelle ? Peut-on admettre une définition subjective basée sur les intentions de ses auteurs - mais alors devons nous garder à l’esprit que pour Sade, dans les 120 journées de Sodome, le summum de la liberté sexuelle est l’accomplissement d’un crime - ou bien ne faut il pas plutôt soutenir un qualification objective? Dans ce cas, doit on rapprocher le sadomasochisme du jeu, où l’on parle, en matière sportive, d’acceptation des risques – comprendre les coups que l’on peut recevoir sans que ne soient enfreint les règle du jeu? Mais le sadomasochisme relève à la fois d’une pratique violente, ce qui a pour conséquence qu’en droit pénal général le consentement de la victime est indifférent pour caractériser l’infraction, mais aussi d’une pratique sexuelle où le consentement est alors requis (le consentement des partenaires déterminant s’il s’agit de rapports sexuels ou bien de viols). D'où la difficulté d'une telle qualification objective.

Mais venons en à l’attendu de la CEDH et à l’introduction de ce concept d’autonomie personnelle. « L’article 8 de la Convention protège le droit à l’épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle. Ce droit implique le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur, en ce compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des plus intimes de la sphère privée et est à ce titre protégé par cette disposition. Le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle. A cet égard, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps » (Pretty c. Royaume-Uni, arrêt du 29 avril 2002).

Il en résulte que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre-arbitre des individus. Il faut dès lors qu’il existe des « raisons particulièrement graves » pour que soit justifiée, aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité. »

Ce droit à l’autonomie personnelle implique le droit d’entretenir des rapports sexuels avec autrui lequel découle du droit de disposer de son corps, jusqu’à s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. Il s’agirait donc bien d’un droit au sadomasochisme. Pourtant en l’espèce, et cela n’est pas négligeable et la Cour n’en fait rien, il s’agissait du corps d’autrui – la femme du magistrat. Autant peut-on admettre le droit à disposer de son corps, mais certainement pas le droit de disposer du corps d’autrui qui reviendrait alors à légitimer l’esclavage. Mais pourquoi parler d’autonomie personnelle et non de liberté ? D’autant que ce concept a un contenu plus morale que la liberté, et une étendue elle-même plus large car la liberté s’arrête là où commence celle d’autrui, contrairement à l’autonomie qui est la faculté de se donner sa propre loi, faculté d’autodétermination, sans se soucier d’autrui. On relèvera donc la dérive contenue dans ce considérant qui consacre la toute puissance du consentement et donc de l’autonomie de la volonté. Car à sa lecture, dès lors que la personne est consentante, elle pourra s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. Alors comment interdire à un pauvre de vendre ses organes par exemple? Car la dérive est bien là, ce sont les personnes en situation de précarité qui consentiront facilement à se mutiler. Et peut-on raisonnablement soutenir que leur consentement est véritablement libre et éclairé, et non pas altéré et aliéné par leur situation ? une femme s’adonnant au sadomasochisme exprime-t-elle un consentement plus éclairé que celle victime d’excision ? La polygamie pourra-t-elle trouver un justification de part cette formulation ?

Cet attendu est très gênant dans la mesure où la contractualisation d'un rapport sexuel engendrant l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne a pour conséquence de valider le désir anthropophagique de l'homme. Ce contrat montre en définitive le désir de servitude inhérent à l'Homme. Or de part ce contrat, la victime en vient à consentir d'être traité comme une chose et non comme un être humain, c'est la négation même de sa propre humanité qui engendrerait ce plaisir masochiste. Bref, une jouissance née de l'esclavage. Or, je ne vois pas comment la Cour peut parler de consentement, alors même qu'il s'agit en définitive d'une convention par laquelle la victime renonce à sa liberté, de sorte qu'en se dépouillant de sa volonté, elle accepte sa transformation en chose. Un tel contrat ne peut être que nulle et de nullité absolue.

Mais il reste légitime de se poser la question de l’utilité d’une telle notion car la Cour aurait pu utiliser l’article 17 de la CSDH concernant l’abus de droit : « aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »
On ne peut pas abuser du droit fondamental à la vie privée (article 8) pour évincer un droit aussi fondamental que l’interdiction de la torture (article 3).

Notons par ailleurs cette autre dérive qu’est la consécration par la Cour d’un droit d’entretenir des rapports sexuels. Or il ne s’agit non pas d’un droit fondamental mais d’une liberté fondamentale, celle de s’adonner ou non à des pratiques sexuelles. Car, s’il s’agissait d’un droit, l’Etat devrait alors fournir les moyens nécessaires à tout individu de satisfaire ce droit…Voyez où cela nous mènerait…

Reste enfin à s’interroger sur la place du consentement dans cette affaire dans la mesure où il en constitue le véritable enjeu. On observe de fait les dérives de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle. La cour s’attache au consentement donné par la victime et reconnaît ce critère pour suffisant. Pourtant, alors qu’elle ne s’interroge même pas sur le fait de savoir si son consentement n'était pas vicié, tout juste s’attache-t-elle à reconnaître que les termes du contrat n'ont pas été respecté lorsque les protagonistes ont continué leur agissement contrairement à la volonté de la victime. Or l’on sait - suffit de regarder le droit du travail ou le droit de la consommation - que le consentement n’est pas un critère suffisant à lui tout seul…car le pouvoir de dire "non" appartient toujours au plus fort, jamais au plus faible.

Alors, fallait-il invoquer le concept de dignité humaine ? Selon Bénédicte Lavaud-Legendre non. Dans son ouvrage, où sont passées les bonnes mœurs, elle oppose la dignité actuée, propre à tout un chacun qui est en fait le respect de sa personnalité (sa façon de vivre, de se comporter, de s’affirmer dans la société) à la dignité fondamentale, dénominateur commun de tout être humain en tant qu’il appartient à l’humanité. Alors que la première peut être niée, ce n’est pas le cas de la seconde en ce que sa négation ne serait autre chose que l’extermination d’un individu ou d’un peuple en considération de sa prétendue non appartenance au genre humain (ce qui bien entendu n'est pas acceptable et conduit à des génocides tels que la Shoa).
Pour Muriel Fabre-Magnan, ce concept est en l’espèce inutile en raison de l’article 17 précité qui interdit l’utilisation abusive d’un droit fondamental pour en faire plier un autre.

Ainsi, que dire cet arrêt : dirigeons nous vers des rapports humains toujours plus libres via la consécration de concept tel que l’autonomie personnelle, ou bien l’évolution actuelle des droits de l’Homme n’en dénature-t-elle pas le projet initiale? En effet, on sent poindre une tendance à l'objectivation de l'Homme, à sa réification, comme en témoigne les législations portant sur la bioéthique, la brevetabilité du vivant, bref le mouvement de "biojuridicisation".
Paradoxalement, la CEDH en vient a consacré un droit de l'Homme réifié.

Sur cette arrêt, je vous conseille le billet de Diane Roman



4 commentaires:

Tromatojuice a dit…

Pour rebondir sur l'article en question, il me semble que certains domaines ne devraient pas être "pollués" par le droit. Du moins pas dans une certaine mesure. Le tout étant de déterminer cette mesure.
Mais avons nous vraiment envie de se voir imposer des règles de droit dans un domaine tel que le sexe ? Est-ce que j'ai envie de faire signer un contrat à ma compagne avant de m'adonner à des pratiques sexuelles jugées "dégradantes" ?
Non, cent fois non !
Et pourtant comme le souligne le billet de Valentin, la possibilité de dire non n'est bien souvent le fait que du plus fort, de celui qui tient le fouet.
Existe-t-il une réponse ? Que choisir entre "protéger les faibles" et "materner ses citoyens". La première solution est louable, et le droit (la justice donc) interviendrait comme une sorte de superhéro, de justicier. Au secours de la veuve et de l'orphelin.
Le problème intervient dans la seconde solution, pourtant indisociable de la première. Le rôle de la justice n'est pas de déresponsabiliser l'individu. Si elle s'imisce dans chacun de nous faits et gestes, qu'elle s'établit en mère la morale, le résultat pourrait être catastrophique.
L'individu ne serait plus qu'un produit insipide, asservi à une justice maternaliste.

valentin a dit…

merci pour ton commentaire, je me doutais que le sujet t'intéresserait

Hannibal Volkoff a dit…

"Pourtant en l’espèce, et cela n’est pas négligeable et la Cour n’en fait rien, il s’agissait du corps d’autrui – la femme du magistrat."
Oui, mais la femme était consentante. Ses supplications faisaient partie de ses fantasmes, et l'ignorance des sadiques, une part de leur contrat SM. Elle l'a elle même déclaré.
Dans le sadomasochisme, la personne soumise n'est pas une chose: au contraire, c'est elle qui dicte ses désirs, ce qu'elle veut que la personne dominante fasse. Sans cet ordre des choses, on ne peut plus parler d'SM.

La question "Alors comment interdire à un pauvre de vendre ses organes par exemple?" n'a pas grand chose à voir avec le sujet: elle a aussi un aspect économique. Les organes vendus par des pauvres appartiennent toujours au marché noir.
Mais ça reste intéressant: qu'est ce qui m'empêche, effectivement, de me couper le doigt pour le vendre?

Unknown a dit…

La liberté ne doit pas avoir de limite tant que le consentement de tous ceux qui sont cernés par une gène éventuelle est présent.