Bon, il est vrai, ça fait quelque temps que j'ai laissé mon blog en jachère, mais depuis que j'ai constaté qu'il était pointé par d'autres blogs, cela m'encourage à publier de nouveaux billets sur une base plus régulière.
Ce billet, qui ouvre une série consacrée à une étude comparative entre le droit français et le droit anglais en matière de propriété intellectuelle, se veut résolument polémique, puisqu'il s'agit très souvent d'un sujet de controverse en France, où l'on hésite pas à caricaturer la position anglaise, du haut de notre suffisance et de notre prétention qui nous caractérise, alors que les différences ne sont peut être pas toujours aussi saillantes ou profondes. Loin de moi l'idée de minimiser les différences qui subsisent, mais je souhaite juste ouvrir un lieux d'échanges sur ce thème.
Même s'il ne fait aucun doute que le droit d'auteur, comme son nom l'indique, protège avant tout l'auteur d'une création, alors que le copyright s'intéresse plutôt au producteur-investisseur qui assure son exploitation sur le marché (voir l'article du Professeur M. Vivant), une telle dichotomie est devenu moins nette depuis, notamment, l'avènement des NTIC. En effet, il semble que la traditionnelle opposition entre l'originalité à la française caractérisée par l'empreinte de la personnalité de l'auteur, et l'originality' anglaise reposant sur les notions de 'skill, labour or judgment' et de 'not copied' s'amenuise.
'L'originality' est une disposition légale présente à la section 1 (a) du CPDA de 1998. Elle n'est requise que pour les oeuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques, et non pour les oeuvres de la seconde catégorie ('entrepreneurial works') que sont les 'sounds recording', 'films', 'broadcasts' et les 'typographical arrangements of published editions'.
Première remarque: même si l'originalité est un critère fondamental de notre droit français, force est de reconnaître que nous n'avons pas une telle disposition légale. Ce sont les tribunaux qui ont généralisé le critère d'originalité, alors expressément et seulement requis pour les titres d'oeuvres (article L. 112-4 du CPI) à l'ensemble des oeuvres de l'esprit. Textuellement parlant, le critère d'originalité semble plus primordiale en droit anglais, de part sa position de choix dans le texte de loi. Mais qu'en est il de son contenu?
Comme en France, le droit anglais bannit la protection des seules idées et concepts. Seule une idée/pensée exprimée est protégée par le copyright - c'est donc l'expression de cette idée qui est protégée - dès lors qu'elle est écrite ou imprimée (oeuvre littéraire) ou visuellement significative (oeuvre artistique).
Comme en France, le droit anglais ne prend pas en compte le mérite esthétique, la qualité ou la valeur de l'oeuvre sujette à la protection par le copyright.
Intéressons nous maintenant aux développement jurisprudentiels des tribunaux anglais. Un des critères fondamentaux de 'l'originality' est que l'oeuvre doit émaner de son auteur ('it should originate from his author'). Dans quelle mesure cette expression diffère de celle française d' "emprunte de la personnalité de l'auteur"?
En France, cela revient à montrer que la forme de l'oeuvre est personnelle, i.e que l'auteur y a mis, en quelque sorte, de sa personne. De là vient le glissement possible (et qui s'opère d'ailleurs) : attendons nous de l'auteur qu'il imprime à l'oeuvre des traits caractéristiques de sa personnalité, de sorte que seul cet auteur, et personne d'autre, a pu aboutir à ce résultat? Ou bien attendons nous de l'auteur qu'il opère des choix, et que par 'y mettre de sa personne', il fasse seulement preuve d'un certain effort, ou apport intellectuel?
La véritable difficulté de la notion d'originalité vient qu'il n'est pas facile de l'appréhender de la même manière pour toutes les oeuvres. Pour une oeuvre classique (un roman par exemple), c'est le critère d'une certaine intimité entre l'auteur et son oeuvre qui peux jouer. Mais pour les logiciels? Peut on avancer qu'un tel rapport d'intimité existe, et qu'une ligne de programme reflète la personnalité de son auteur?
Quoiqu'il en soit, pour un juriste anglais, une oeuvre émanant de son auteur signifie par exemple, la retranscription écrite ('report') de propos tenu oralement ('speech') par un homme public et publiée dans un journal(Walter v Lane [1900] AC 539), dans la mesure où cela requiert une certaine habilité. Ou plus récemment, l'édition d'une partition pour jouer une oeuvre baroque(Sawkins v Hyperion Records Ltd [2005] EWCA Civ 565).
Ce qui nous amène à évoquer la véritable différence entre originalité et 'originality' : pour que l'oeuvre soit 'original', son auteur doit avoir fait montre d'une certain degré de 'labour, skill or judgment' (même si parfois les tribunaux anglais utilise d'autres expressions qui font alors encore plus bondir le juriste français, telle que 'capital', 'effort', 'industry', knowledege', 'taste', 'ingenuity', experience' ou 'investment'), en plus de ne doit pas être la copie d'une oeuvre pré-existante.
Et c'est là que réside les critiques des juristes français à l'encontre du droit anglais. Adopter un tel critère revient à protéger toute création, y compris les plus triviales, dès lors que son auteur a fait preuve de travail, de savoir-faire ou de jugement.
Et la jurisprudence leur donne raison, comme par exemple ce cas où le mode d'emploi figurant au dos d'un produit herbicide a été reconnu comme un 'work' protégé par le copyright (voir l'arrêt Elanco v Mandops (1979).
Mais ce n'est pas toujours vrai, et la trivialité est parfois présentée par certains professeurs comme une exception (Intellectual Property Law, Bently and Sherman, p.93), comme l'illustre l'affaire d'un artiste qui demandait la protection de sa peinture, alors qu'il s'agissait "seulement " d'une trace de peinture sur son visage, ce qui a été jugé par les juges comme trivial (Merchandising Corporation v. Harpbond [1983]).
Quoiqu'il en soit, on ne peut que constater qu'en France également, et tout particulièrement pour certaines oeuvres comme les logiciels, les juges adoptent un test proche du système anglais, lorsque à la notion d'originalité la Cour de Cassation y substitue un test indéniablement plus anglosaxon, d'abord un test d'effort intellectuelle, puis suite à l'Arrêt Pachot, l'auteur n'a plus qu'à montrer son 'apport intellectuel' (Ass Pl. 7 mars 1986).
Mais soyons plus juste (et rigoureux) envers le droit anglais. Tout d'abord parce que seulement un certain type de 'skill, labour or judgement' confère l'originalité (the labour must be of the right kind), par exemple le travail ne doit pas être automatique, ou encore l'oeuvre doit faire preuve d'une certaine individualité ('individuality', voir l'arrêt MacMillan v. Cooper). Ensuite, dans le cas d'une oeuvre seconde (l'auteur s'appuie sur une oeuvre antérieure, protégée ou non par copyright), le travail doit produire un changement dans l'oeuvre, lequel changement doit par ailleurs être pertinent, i.e dans le cas d'une oeuvre artistique par exemple, il ne doit pas seulement être technique, mais doit être visiblement significatif ('visually significant' Interlego v. Tyco Industries [1989] AC 217)
Enfin, signalons que sous l'influence des directives europeénnes, précisément la Directive sur les logiciels et bases de données, ainsi que la Directive Durée, le Royaume Uni a dû introduire une conception plus 'occidentale' de l'originalité : les programmes d'ordinateurs, bases de données et les photographies doivent être des créations intellectuelles propres à leur auteur ('author's own intellectual creation').
Pour conclure, comment expliquer que le système français place la barre de l'originalité plus haute que le droit britannique ? Plutôt que de répondre par le traditionnel argument philosophique (notre conception est plus hégélienne que Lockéenne), le Professeur Bently donne une explication intéressante dans son ouvrage (précité, p.89).
En France, nous disposons d'une liste ouverte et non limitative présentant les oeuvres susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur, de sorte que c'est l'originalité qui permet à une oeuvre de devenir une oeuvre de l'esprit. En Angleterre, en revanche, l'oeuvre doit d'abord entrer dans l'une des huit catégories énoncé par le CPDA, et c'est ensuite que son degré d'originalité sera appréciée. C'est donc une différence de technique juridique, et à ce niveau, le droit anglais semble plus stricte.
Un exemple: la pochette de l'album Be Here Now d'Oasis. Noel Gallagher a fait un travail de mise en scène en disposant pour les besoins de cette pochette des objets autour d'une piscine. Un photographe était présent et a pris une photo de la scène qu'il a ensuite publié. La maison de disque a alors intenté une action sur la base de la contrefaçon, laquelle a échoué parce que le 'travail' de Noel Gallagher n'entrait dans aucune des 8 (9 à l'époque) catégories, en l'occurrence 'dramatic' ou 'artistic'.
En revanche en France, on a pu paraître plus laxiste sur la notion d'originalité, notamment s'y on se réfère à l'affaire Paradis. L'écriture du mot "Paradis" en lettres d'or sur le mur des toilettes d'un hôpital psychiatrique a été jugé par la Cour d'Appel de Paris comme étant une oeuvre originale. Or, une telle réalisation relevait plus du concept, de l'idée de décalage, que de l'expression d'une idée.
Quoiqu' il en soit, il est bien difficile, lorsque l'on s'intéresse à la notion d'originalité, de mettre de côté tout jugement esthétique. Et en un sens, la catégorisation à l'anglaise permet cela.
Ce billet, qui ouvre une série consacrée à une étude comparative entre le droit français et le droit anglais en matière de propriété intellectuelle, se veut résolument polémique, puisqu'il s'agit très souvent d'un sujet de controverse en France, où l'on hésite pas à caricaturer la position anglaise, du haut de notre suffisance et de notre prétention qui nous caractérise, alors que les différences ne sont peut être pas toujours aussi saillantes ou profondes. Loin de moi l'idée de minimiser les différences qui subsisent, mais je souhaite juste ouvrir un lieux d'échanges sur ce thème.
Même s'il ne fait aucun doute que le droit d'auteur, comme son nom l'indique, protège avant tout l'auteur d'une création, alors que le copyright s'intéresse plutôt au producteur-investisseur qui assure son exploitation sur le marché (voir l'article du Professeur M. Vivant), une telle dichotomie est devenu moins nette depuis, notamment, l'avènement des NTIC. En effet, il semble que la traditionnelle opposition entre l'originalité à la française caractérisée par l'empreinte de la personnalité de l'auteur, et l'originality' anglaise reposant sur les notions de 'skill, labour or judgment' et de 'not copied' s'amenuise.
'L'originality' est une disposition légale présente à la section 1 (a) du CPDA de 1998. Elle n'est requise que pour les oeuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques, et non pour les oeuvres de la seconde catégorie ('entrepreneurial works') que sont les 'sounds recording', 'films', 'broadcasts' et les 'typographical arrangements of published editions'.
Première remarque: même si l'originalité est un critère fondamental de notre droit français, force est de reconnaître que nous n'avons pas une telle disposition légale. Ce sont les tribunaux qui ont généralisé le critère d'originalité, alors expressément et seulement requis pour les titres d'oeuvres (article L. 112-4 du CPI) à l'ensemble des oeuvres de l'esprit. Textuellement parlant, le critère d'originalité semble plus primordiale en droit anglais, de part sa position de choix dans le texte de loi. Mais qu'en est il de son contenu?
Comme en France, le droit anglais bannit la protection des seules idées et concepts. Seule une idée/pensée exprimée est protégée par le copyright - c'est donc l'expression de cette idée qui est protégée - dès lors qu'elle est écrite ou imprimée (oeuvre littéraire) ou visuellement significative (oeuvre artistique).
Comme en France, le droit anglais ne prend pas en compte le mérite esthétique, la qualité ou la valeur de l'oeuvre sujette à la protection par le copyright.
Intéressons nous maintenant aux développement jurisprudentiels des tribunaux anglais. Un des critères fondamentaux de 'l'originality' est que l'oeuvre doit émaner de son auteur ('it should originate from his author'). Dans quelle mesure cette expression diffère de celle française d' "emprunte de la personnalité de l'auteur"?
En France, cela revient à montrer que la forme de l'oeuvre est personnelle, i.e que l'auteur y a mis, en quelque sorte, de sa personne. De là vient le glissement possible (et qui s'opère d'ailleurs) : attendons nous de l'auteur qu'il imprime à l'oeuvre des traits caractéristiques de sa personnalité, de sorte que seul cet auteur, et personne d'autre, a pu aboutir à ce résultat? Ou bien attendons nous de l'auteur qu'il opère des choix, et que par 'y mettre de sa personne', il fasse seulement preuve d'un certain effort, ou apport intellectuel?
La véritable difficulté de la notion d'originalité vient qu'il n'est pas facile de l'appréhender de la même manière pour toutes les oeuvres. Pour une oeuvre classique (un roman par exemple), c'est le critère d'une certaine intimité entre l'auteur et son oeuvre qui peux jouer. Mais pour les logiciels? Peut on avancer qu'un tel rapport d'intimité existe, et qu'une ligne de programme reflète la personnalité de son auteur?
Quoiqu'il en soit, pour un juriste anglais, une oeuvre émanant de son auteur signifie par exemple, la retranscription écrite ('report') de propos tenu oralement ('speech') par un homme public et publiée dans un journal(Walter v Lane [1900] AC 539), dans la mesure où cela requiert une certaine habilité. Ou plus récemment, l'édition d'une partition pour jouer une oeuvre baroque(Sawkins v Hyperion Records Ltd [2005] EWCA Civ 565).
Ce qui nous amène à évoquer la véritable différence entre originalité et 'originality' : pour que l'oeuvre soit 'original', son auteur doit avoir fait montre d'une certain degré de 'labour, skill or judgment' (même si parfois les tribunaux anglais utilise d'autres expressions qui font alors encore plus bondir le juriste français, telle que 'capital', 'effort', 'industry', knowledege', 'taste', 'ingenuity', experience' ou 'investment'), en plus de ne doit pas être la copie d'une oeuvre pré-existante.
Et c'est là que réside les critiques des juristes français à l'encontre du droit anglais. Adopter un tel critère revient à protéger toute création, y compris les plus triviales, dès lors que son auteur a fait preuve de travail, de savoir-faire ou de jugement.
Et la jurisprudence leur donne raison, comme par exemple ce cas où le mode d'emploi figurant au dos d'un produit herbicide a été reconnu comme un 'work' protégé par le copyright (voir l'arrêt Elanco v Mandops (1979).
Mais ce n'est pas toujours vrai, et la trivialité est parfois présentée par certains professeurs comme une exception (Intellectual Property Law, Bently and Sherman, p.93), comme l'illustre l'affaire d'un artiste qui demandait la protection de sa peinture, alors qu'il s'agissait "seulement " d'une trace de peinture sur son visage, ce qui a été jugé par les juges comme trivial (Merchandising Corporation v. Harpbond [1983]).
Quoiqu'il en soit, on ne peut que constater qu'en France également, et tout particulièrement pour certaines oeuvres comme les logiciels, les juges adoptent un test proche du système anglais, lorsque à la notion d'originalité la Cour de Cassation y substitue un test indéniablement plus anglosaxon, d'abord un test d'effort intellectuelle, puis suite à l'Arrêt Pachot, l'auteur n'a plus qu'à montrer son 'apport intellectuel' (Ass Pl. 7 mars 1986).
Mais soyons plus juste (et rigoureux) envers le droit anglais. Tout d'abord parce que seulement un certain type de 'skill, labour or judgement' confère l'originalité (the labour must be of the right kind), par exemple le travail ne doit pas être automatique, ou encore l'oeuvre doit faire preuve d'une certaine individualité ('individuality', voir l'arrêt MacMillan v. Cooper). Ensuite, dans le cas d'une oeuvre seconde (l'auteur s'appuie sur une oeuvre antérieure, protégée ou non par copyright), le travail doit produire un changement dans l'oeuvre, lequel changement doit par ailleurs être pertinent, i.e dans le cas d'une oeuvre artistique par exemple, il ne doit pas seulement être technique, mais doit être visiblement significatif ('visually significant' Interlego v. Tyco Industries [1989] AC 217)
Enfin, signalons que sous l'influence des directives europeénnes, précisément la Directive sur les logiciels et bases de données, ainsi que la Directive Durée, le Royaume Uni a dû introduire une conception plus 'occidentale' de l'originalité : les programmes d'ordinateurs, bases de données et les photographies doivent être des créations intellectuelles propres à leur auteur ('author's own intellectual creation').
Pour conclure, comment expliquer que le système français place la barre de l'originalité plus haute que le droit britannique ? Plutôt que de répondre par le traditionnel argument philosophique (notre conception est plus hégélienne que Lockéenne), le Professeur Bently donne une explication intéressante dans son ouvrage (précité, p.89).
En France, nous disposons d'une liste ouverte et non limitative présentant les oeuvres susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur, de sorte que c'est l'originalité qui permet à une oeuvre de devenir une oeuvre de l'esprit. En Angleterre, en revanche, l'oeuvre doit d'abord entrer dans l'une des huit catégories énoncé par le CPDA, et c'est ensuite que son degré d'originalité sera appréciée. C'est donc une différence de technique juridique, et à ce niveau, le droit anglais semble plus stricte.
Un exemple: la pochette de l'album Be Here Now d'Oasis. Noel Gallagher a fait un travail de mise en scène en disposant pour les besoins de cette pochette des objets autour d'une piscine. Un photographe était présent et a pris une photo de la scène qu'il a ensuite publié. La maison de disque a alors intenté une action sur la base de la contrefaçon, laquelle a échoué parce que le 'travail' de Noel Gallagher n'entrait dans aucune des 8 (9 à l'époque) catégories, en l'occurrence 'dramatic' ou 'artistic'.
En revanche en France, on a pu paraître plus laxiste sur la notion d'originalité, notamment s'y on se réfère à l'affaire Paradis. L'écriture du mot "Paradis" en lettres d'or sur le mur des toilettes d'un hôpital psychiatrique a été jugé par la Cour d'Appel de Paris comme étant une oeuvre originale. Or, une telle réalisation relevait plus du concept, de l'idée de décalage, que de l'expression d'une idée.
Quoiqu' il en soit, il est bien difficile, lorsque l'on s'intéresse à la notion d'originalité, de mettre de côté tout jugement esthétique. Et en un sens, la catégorisation à l'anglaise permet cela.
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